
All Stars, All Citizens
Propriétaire : Orlan Tavera
Fondation : 2936
Présentateur : Orlan Tavera
Origine : Humaine
Domaine : Programme d'Information itinérant
Orlan Tavera ne se cache pas, ce serait même tout l'inverse. On sait toujours quand son Freelancer blanc s'est posé. Ce n'est pas une rumeur. Ce n'est pas un mouvement discret dans l'ombre. C'est un fait. Un Freelancer blanc nacré, immaculé même après un saut dans les zones les plus poisseuses des systèmes les plus reculés du Verse, qui se pose doucement sur la plateforme, ses moteurs glissant dans un murmure. Il n'a rien d'ostentatoire pourtant. Pas de gardes, pas de programme marketing, pas de message préparé. Il n'annonce pas son arrivée, mais il est attendu. Toujours. Quelque part, quelqu'un guette, et lorsqu'il descend la rampe, toujours dans un costume trois pièces blanc, légèrement boutonné, pas une tâche, pas un faux pli, les regards le reconnaissent. Les plus jeunes chuchotent, les plus anciens froncent les sourcils avec tendresse. Il n'est pas une vedette, mais il n'est pas un inconnu. Il est Orlan. Et cela suffit.
L'émission, c'est All Stars, All Citizens. Ou simplement ASAC, pour ceux qui l'écoutent chaque semaine. Pas de générique criard. Pas de studio holographique. Pas de sponsor de méga-corp apposé sur l'écran. Ce n'est pas le style. Ce ne l'a jamais été. Le seul luxe qu'Orlan s'autorise, c'est cette élégance un peu désuète, cette façon d'être impeccable sans prétention, de se tenir droit sans arrogance. Et cette voix, surtout. Une voix douce, pleine, qui ne force jamais. Une voix qui vous écoute quand elle parle, qui vous donne la place d'exister dans sa résonance. Il ne coupe jamais. Il n'interrompt pas. Il laisse la personne aller jusqu'au bout de sa pensée, quitte à ce que le silence s'installe entre deux mots. Parce que le silence, chez lui, n'est jamais un vide. C'est un espace. Un droit. Un respect.
All Stars, All Citizens n'est pas une émission de témoignages. C'est une émission de rencontres. Orlan n'a pas de liste. Il n'a pas de programme. Il ne répond pas à des demandes. Il ne vous inscrit pas à l'avance. Il sort, il marche, il regarde. Et s'il s'arrête devant vous, c'est que quelque chose l'a appelé. Ce n'est pas mystique, ce n'est pas un don. C'est une écoute. Une vraie. Celle qu'on ne fabrique pas avec des algorithmes. Il repère les silences tendus, les épaules voûtées, les regards qui fuient ou au contraire qui cherchent. Il sent, quelque part, qu'il y a un morceau d'histoire qui doit se dire. Alors il sort son enregistreur, il tend son micro, et il pose la première question. Souvent une question simple, anodine en apparence. "Vous travaillez ici depuis longtemps ?", "C'est vous qui avez repeint ce mur ?", "Vous aimez la pluie, vous ?". Et c'est parti. La voix d'Orlan agit comme une lumière douce sur une vieille photographie. Elle fait apparaître ce qu'on croyait effacé.
Personne ne sait vraiment comment l'émission a commencé. Il y a bien des archives, des fragments de la toute première version diffusée depuis Borea, quelque part dans les cycles de 2936. Un témoignage à peine audible d'un vieil homme dans une station de retraitement, parlant de son frère disparu dans le système Nul. Orlan, à cette époque, ne parlait quasiment pas. On ne l'entendait qu'à la fin, pour dire "merci". Et déjà, cette façon d'écouter. De ne pas remplir les vides. Il venait du monde de la communication, c'est certain. Il avait travaillé avec des productions du Spectrum, peut-être même pour un programme politique de Terra, selon certaines sources jamais vérifiées. Puis il avait tout quitté. Il ne parle jamais de cette rupture. Il l'évoque comme on évoque une ancienne adresse : "ce n'était plus chez moi".
Ce qui est sûr, c'est que l'émission est devenue un rendez-vous. Pas pour ceux qui veulent briller. Pas pour ceux qui cherchent à vendre une idée, un projet, une idéologie. Mais pour ceux qui ont quelque chose à dire sans savoir comment le formuler. All Stars, All Citizens est devenu le lieu de cette parole fragile. Celle des dockers de Lorville, des infirmiers de microTech, des apprentis techniciens dans les stations minières de Pyro, des vieilles dames de Cassel qui préservent des graines oubliées, des vétérans fatigués qui ne croient plus à l'Empire mais qui continuent à voter, par réflexe, par loyauté, par fatigue aussi. Orlan ne juge pas. Il ne contredit pas. Il relance parfois, il demande une précision, mais il ne cherche pas la faille. Il cherche la voix. Et il la suit.
Beaucoup rêvent d'être interviewés. Certains même l'attendent, se préparent, espèrent secrètement que le Freelancer blanc vienne un jour s'arrimer à leur quai. Ils savent pourtant qu'Orlan ne choisit jamais ceux qui l'attendent. Il choisit ceux qu'on n'a pas vus. Ceux qu'on n'entend pas. Ceux qu'on ne penserait pas interroger. Il lui est arrivé de passer devant un maire, une figure publique, un artiste en tournée… et de s'arrêter devant un mécanicien qui réparait une conduite d'eau, ou un jeune employé de cantine qui attendait l'ouverture. Ce n'est pas une posture. C'est sa méthode. Le hasard, comme une science douce. Un radar humain pour ce qui est en creux.
L'émission est diffusée en différé, bien sûr. Jamais en direct. Orlan prend le temps de monter, de couper parfois, mais toujours avec le consentement de la personne interrogée. Il ne trafique pas. Il ne dramatise pas. Il restitue. Le ton est toujours le même. Sobre. Serein. Même quand les propos sont durs. Même quand quelqu'un raconte un deuil, une injustice, une colère rentrée. La force de All Stars, All Citizens, c'est cette douceur tenace. Ce refus du sensationnel. Cette fidélité aux gens, tout simplement. Pas aux histoires, pas aux faits divers. Aux gens.
Et puis il y a lui. Ce personnage improbable, en costume blanc, qu'on voit s'asseoir à la terrasse d'un centre civil à Saisei, ou dans les gradins d'un marché suspendu à Keene. Il n'a pas changé. À peine plus ridé. Toujours le même carnet dans la poche intérieure. Toujours le même enregistreur, solide, un peu cabossé, qu'il dit ne jamais vouloir changer. Et ce regard. Fatigué parfois, mais toujours attentif. C'est cela qu'on retient, au fond. Pas le Freelancer. Pas l'émission. Mais le regard d'Orlan, posé sur vous, sans jugement, comme s'il disait : "je vous vois". Et pour beaucoup, dans cet Empire qui classe, qui trie, qui archive, c'est déjà beaucoup.
All Stars, All Citizens continue, saut après saut, escale après escale. Il n'y a pas de destination. Pas de fin. Juste un micro, une voix, et la conviction que chaque citoyen, chaque étoile, mérite un instant d'écoute vraie. C'est peu. Mais c'est immense.