Le Gamin et la Rouille

On dit que Levski ne parle qu'aux silencieux.

Aujourd'hui, dans les entrailles du système Nyx, Orlan Tavera croise Niko Virel, 20 ans, né ici, revenu sans trop savoir pourquoi. Ce n'est pas un dissident, ni un héros, juste un jeune homme avec un pingouin rafistolé autour du cou, une mémoire affutée et des mots qui frappent sans crier. Dans cet épisode d'All Stars, All Citizens, il est question de fuite, d'attente, et de ce que ça veut dire, grandir dans les interstices de l'Empire.

Date & Lieux :

• 31/05/2938
• Levski

Sujet :

• Niko Virel
• 20 ans
• Originaire de Levski
• Signe distinctif : Collier pingouin

Bienvenue sur All Stars, All Citizens. Aujourd'hui, on est en direct du marché souterrain de Levski. Ouais, ce bon vieux tunnel 3B, juste entre la zone de déchargement et la galerie qui sent la rouille tiède. Et j'suis tombé sur un visage, et surtout un regard qui mérite qu'on s'arrête. Salut, tu veux bien dire ton nom pour nos auditeurs ?

Euh... ouais.
Salut.
Moi c'est... Niko.

Salut Niko.
Merci d'avoir accepté.
Je précise à ceux qui nous écoutent que ce n'est pas un entretien programmé à l'avance. Je t'ai juste vu là, avec ton collier pingouin...

Il s'appelle Pico.

Pico ?
Comme le jouet ?

Ouais. Celui de microTech. J'l'ai eu y'a... longtemps.
J'l'ai rafistolé plein de fois.

Il tient bien le coup.
Comme toi, j'imagine.

[Joue un peu avec Pico.]
Ouais. Enfin, moi j'suis moins doux.

T'as quel âge, Niko ?

Vingt ans. Depuis pas longtemps.

Et t'es d'ici ?
Enfin, de Levski ?

Ouais. J'suis né là.
Enfin... mes parents étaient pas vraiment censés rester, mais c'est ici que je suis né.

Et t'as toujours vécu dans ces galeries ?

Jusqu'à mes quinze, ouais. Après on est partis. Ma mère avait trouvé un boulot ailleurs.
J'suis revenu y'a un an.
Pas pour m'installer... j'sais pas encore pourquoi en fait.
Un besoin, peut-être.

Tu t'occupes de quoi, ici ?

Un peu de tout.
Des fois j'aide avec le système de ventilation, ou je récupère du matos pour des bricoleurs... J'suis pas très fixe.

T'as l'air jeune, mais... t'as un regard qu'on voit chez les anciens.
T'as vécu des choses difficiles ?

[Rire nerveux.]
J'crois que c'est Levski qui fait ça. Ici, tu grandis vite.
Quand t'entends parler de gens qui disparaissent, de cargos qui explosent dans Nyx, ou de rumeurs sur l'Advocacy qui fout ses oreilles partout... tu restes pas un gamin très longtemps.

Et pourtant, tu gardes Pico autour du cou.

C'est mon rappel. Qu'on peut rester... un peu con, un peu tendre, même dans ce merdier.

Tu crois en quelque chose, Niko ?

Je crois... que la mémoire, c'est ce qui tient.
Même quand tout tombe.
La mémoire des petits trucs. Des voix. Des rires. Des erreurs.
J'crois pas aux drapeaux, ni aux uniformes.
Mais je crois aux souvenirs. Ceux qu'on garde, et ceux qu'on construit.

T'as jamais voulu quitter l'Empire ?

Quitter... ?
[Il réfléchit.]
Ouais, mais... on le quitte jamais vraiment.
Même à Nyx, l'Empire est là.
Par la peur, par les silences.
Et puis... fuir pour fuir, ça m'intéresse pas.
J'préfère comprendre où j'suis.

Tu fais quoi quand tu te sens perdu ?

Je marche. J'descends dans les vieux couloirs, là où y'a plus personne.
Parfois j'écoute des vieux enregistrements. J'me branche sur des antennes mortes et j'écoute ce qu'il en reste.

Tu cherches quelque chose ?

Peut-être. Ou alors j'essaie juste de pas devenir comme eux. Ceux qui oublient tout.

T'as l'air d'avoir beaucoup de colère en toi, mais elle est bien rangée. Tu la gardes pour quoi ?

Pour plus tard. Ou pour rien. C'est comme un carburant que j'utilise pas encore. J'me dis que le moment viendra. Ou pas.

Tu rêves de quoi, alors ?

D'un endroit où j'aurais pas besoin de me méfier.
Pas un paradis.
Juste... un coin où j'peux être un peu vrai.

Tu crois que c'est possible ?

Pas maintenant. Mais un jour, peut-être.

Merci Niko. Merci d'avoir pris le temps.
Y'a une dignité chez toi qu'on voit pas tous les jours.

Merci à toi.
C'est pas souvent qu'on me demande quelque chose sans vouloir me vendre un truc.

Et c'est pas souvent qu'on croise un type avec un pingouin autour du cou qui parle comme un vieux poète.
Garde ça. Et fais gaffe à toi.

Toi aussi, Orlan.

[Silence. Puis un fond sonore : bruits métalliques de Levski, voix étouffées, une alarme lointaine.]

C'était Niko. Vingt ans. Levski. Un pingouin, des souvenirs et une lucidité trop grande pour son âge.
C'est ça, aussi, All Stars, All Citizens.

// FIN DE TRANSMISSION