Date & Lieux :
Sujet :
- Jeune femme à l'identitée inconnue...
- 20 ans
- Originaire d'une colonnie agricole...
- Signe distinctif : distante
Lorville, fin d'après-midi, au coeur de la zone piétonne.
Ce brouhaha derrière moi ?
C'est le son de l'Invictus, qui bat son plein.
Je me retrouve entre un dépôt de surplus de la Navy de l'UEE et un marchand de souvenirs en rupture de badges Invictus.
Les cris joyeux résonnent... mais... attendez... au bord du flux... un courant contraire.
Orlan Tavera pour All Stars, All Citizens.
J'ai repéré une silhouette, une absence dans la fête.
Elle semble ne pas voir les drapeaux ni les enfants sur les épaules de leurs parents.
Allons la rencontrer.
Excusez-moi... Bonjour.
Orlan Tavera, je suis journaliste.
J'écoute les gens, je raconte ce qu'ils ont à dire.
Vous seriez d'accord pour parler quelques minutes ?
J'ai rien à vendre.
[Léger sourire]
Heureusement, je n'achète rien. Je suis juste curieux. Vous avez un air... hors tempo. Et j'aime bien ça.
Je suis Orlan Tavera, et vous êtes ?
[Silence]
Vous êtes de Lorville ?
[Hésitante]
Non. Pas vraiment. Enfin... maintenant oui, je suppose.
Ça veut dire que vous venez de loin ?
[Regarde ailleurs]
D'un coin de Hurston. Une colonie agricole...
C'est rare de croiser des gens des colonies, pendant l'Invictus.
[Ton neutre]
J'étais pas venue pour ça.
Pardon si je pousse... mais j'ai l'impression que vous portez autre chose qu'un simple regard désabusé. Vous avez l'air... chargée. Et je ne parle pas de votre sac.
[Soupire longuement]
[Regarde son sac en toile, qui semble vide]
C'est pas que je veux pas parler. C'est juste que... ça sert à quoi ?
Vous pouvez rien y faire.
[Adoucit sa voix]
Je peux écouter. Parfois, ça suffit.
[Silence]
[Plisse les yeux, puis fixe un point au loin]
On avait un champ de blé. Pas bien grand, mais ça suffisait.
Mon père disait que le soleil d'Hurston, c'est comme un vieux poêle à charbon... faut savoir le tourner à son avantage.
J'ai grandi là, avec mon frère.
Il me tirait toujours les cheveux, ou me piquait ma peluche. Bedy. Un ourson, avec une oreille en moins. Il disait que c'était son trophée de guerre.
Je hurlais, je pleurais, et Momy nous séparait comme des chats.
On s'engueulait tout le temps.
Et pourtant... je crois que je ferais n'importe quoi pour le revoir maintenant.
[Pause]
[Souffle, se mord la lèvre]
J'ai eu vingt ans y'a deux semaines.
J'me suis pas levée ce jour-là. Enfin, pas de suite. Pas pour aider. Pas pour rien. Juste pour m'allonger sous l'arbre, qui borde la colonie, là où y'a du vent.
Ce genre de journée qui ressemble à rien... jusqu'à ce qu'elle...
[Son ton change, un peu plus sec, plus distant]
Momy m'a appelée, enfin, ma mère...
Elle me cherchait, j'ai fini par aller la rejoindre, puis il y a eu ce bruit...
On a tous entendu les vaisseaux avant de les voir. Des moteurs lourds.
Au début, on a cru que c'était la Navy.
Y'a un avant-poste à vingt bornes, parfois des patrouilles passent.
Puis y'a eu un sifflement.
Une explosion.
Quelque part derrière la grange des Growell.
Après... c'est flou.
Y'avait du feu. Des cris. J'ai aperçu mon père... il courait vers la serre.
Entendu ma mère qui appelait mon frère.
Moi, j'essayais juste de respirer.
De les retrouver, j'ai couru.
Puis cette explosion.
Je ne sais pas combien de temps j'suis restée dans les vapes... mais... tout avais changé... ma maison avait été comme... pulvérisée... J'ai jamais revu personne.
Ni corps.
Ni bruit.
Juste la poussière.
Et l'odeur...
Mais eux, ils étaient là...
[Baisse les yeux]
Je ne sais pas comment j'suis parvenu à sortir, tout ce que je sais, c'est que j'ai pu atteindre la bordure de la colonie, et...
J'ai marché.
Deux jours peut-être.
Jusqu'à l'avant-poste.
Le lendemain, on m'a dit que personne n'avait survécu, que j'avais eu de la chance.
Puis une navette de l'UEE est venue me chercher.
[Sa voix devient plus basse, presque un souffle]
Depuis... je suis ici.
Je dors pas beaucoup.
J'ai rien à faire.
Personne à voir.
Juste des gens qui crient, des vendeurs de pins, et cette musique qui n'arrête jamais.
Et moi, ma famille me manque, même Bedy n'a pas survécu.
Je les ai tous laissé.
[Long silence]
[On entend au loin une fanfare de la Navy]
[Des voix d'enfants qui s'exclament en réponse à la voie retentissant d'un sergent recruteur]
[très doucement]
Je suis désolé d'apprendre cela.
Vous savez... parfois, ceux qui ont tout perdu...
Qu'est-ce-que ?
Attendez...
Revenez ?
Je reste là.
Mon micro en main.
Et je réalise que parfois, les héros n'ont ni armure ni médaille.
Juste une vieille salopette et une cicatrice qu'on ne voit pas.
Je ne sais même pas son nom, ni même son prénom, elle était comme un instant suspendu.
Elle vient de se lever, sans même dire un mot, pour la voir disparaitre dans un bureau de recrutement.
Jeune inconnue... Je ne connais pas ton futur.
Mais tu viens de changer le mien.
Orlan Tavera, Lorville, une fin d'après-midi.
C'était All Stars, All Citizens.
// FIN DE TRANSMISSION